• AUGUSTE BROUET AQUAFORTISTE PARISIEN
    Auguste Brouet aquafortiste parisien - Byblis 1922 - couverture
AUGUSTE BROUET AQUAFORTISTE PARISIEN
AUGUSTE BROUET AQUAFORTISTE PARISIEN
AUGUSTE BROUET AQUAFORTISTE PARISIEN
AUGUSTE BROUET AQUAFORTISTE PARISIEN
AUGUSTE BROUET AQUAFORTISTE PARISIEN
AUGUSTE BROUET AQUAFORTISTE PARISIEN
Byblis, vol. 4 p. 141
(Octobre 1922)
AUGUSTE BROUET AQUAFORTISTE PARISIEN
Un article par Jean Guiffrey.
UNE exposition récente a présenté, pour la première fois en France, l'oeuvre d'un maître-graveur: Auguste Brouet. Certes, quelques initiés connaissaient et appréciaient avant le mois de mars dernier et depuis longtemps même son talent (l); mais il n'avait pas reçu encore du public parisien l'hommage d'admiration auquel il avait droit.
= Auguste Brouet est un enfant de Paris; de Montmartre. Né le 10 octobre 1872, il passa ses premières années parmi les humbles, dont il devait plus tard représenter les types avec une si émouvante sincérité. Il travailla d'abord comme apprenti chez un imprimeur lithographe, puis chez un fabricant d'instruments de musique. Il étudiait, en même temps, de 13 à 15 ans, le dessin aux cours du soir chez Kignolet [Quignolot]; aussi à 16 ans put-il entrer à l'École des Beaux-Arts dans l'atelier d'Élie Delaunay. Gustave Moreau, cet excellent maître, le remarqua peu de temps après, s'intéressa à lui et lui donna des conseils pendant plusieurs années. Dès 1888 il s'exerce à la gravure avec Delâtre, et de cette époque date sa première planche: Les Joueurs de dés, exécutée avec un clou sur une plaque de zinc légèrement mordue, qui étonne par certaines affinités avec des eaux-fortes de Rembraoot, bien qu'Auguste Brouet n'en ait alors jamais vues.
= Longtemps la lutte sera rude pour le jeune artiste dénué de ressources. Il était né graveur, et cependant il dut dessiner, peindre à l'huile et à l'aquarelle pour assurcr sa subsistance, exécuter des lithographies, des gravures en noire et en couleur d'après les maîtres ou pour d'autres graveurs: il connut la longue hiérarchie des misères que l'artiste pauvre, le graveur surlout, doit remonter ayant d'arriver à la vie paisible et à la notoriété. C'est l'histoire triste commune à tant de grands artistes !
= Auguste Brouet a toujours marqué une prédilection à représenter les pauvres gens, au milieu desquels il était né, qu'il connaissait bien et qu'il aimait; de tous ceux qui traînent leur vie misérable sur les trottoirs ou dans les étroites boutiques des quartiers populeux. Il sera le meilleur illustrateur de la rue grouillante du Paris de notre temps. Avec une compassion émue, il s'est arrêté dans la boutique ou devant l'échoppe de l'horloger, du tourneur, du tonnelier, de l'orfèvre, du luthier où il avait lui-même travaillé, du boucher, de la marchande de légumes, du graveur et du ciseleur, de l'antiquaire, de la marchande à la toilette, de la prêteuse sur gages. En errant sur la voie animée il notera au passage le marchand d'habits, relevant la tête et quêtant un client aux façades des maisons, la porteuse de pains affairée, les vendeurs au panier criant leurs marchandises, le joueur d'orgue de Barbarie, le marchand de mouron, la quincaillerie ambulante, le raccommodeur de faïence et de porcelaine, les romanichels, l'aveugle, le départ pour le marché à la ferraille, le marchand de fleurs à la hotte de la rue des Abbesses. Ailleurs, dans des tableaux de genre, du genre le plus humble, il montre: le marché à la ferraille à Saint-Ouen, le marché au gui rue Lepic, le bric-à-brac du marché aux puces, le tri des chiffonniers, le camp des romanichels, le marché de la rue des Abbesses, des scènes de la zone, le rendez-vous des Chiffonniers, le campement des trois roulottes, etc. Certains coins de Paris ont été nettement fixés par lui: le Pont-Neuf, le pont Saint-Michel, un coin de la rue Lepic (2). N'est-ce pas les aspects les plus fugitifs; les plus imprévus de la grande ville qu'il a fixés ainsi pour toujours? Même il a fait de rares excursions en province, et quelques-unes de ses planches nous montrent du Creusot la vue extérieure des fours à gaz et, à l'intérieur, les convertisseurs; de Cannes, les raccommodeurs de filets; de Marseille, le marché au poisson; de Conflans, les mariniers; de Normandie, une tour, et une rue à Pont-de-l'Arche, des enfants lisant dans une rue de Rouen, etc. C'est à cette série qu'appartient la belle planche représentant une rue de Rouen longeant la Cathédrale qui accompagne ces lignes.
= La vie du soir, dans les cafés-concerts, les music-halls et surtout dans les cirques, a exercé sur Auguste Brouet, comme sur tant de grands artistes contemporains, une vive attraction. Ses planches intitulées : le Grand Cirque, le Cirque Pinder, le Cirque ambulant, la Soirée des Acrobates à Saint-Cloud, les Fratellini, la Parade, Chanteuse de café-concert, Danseuse au miroir, les Pointes avant la danse, Petite Danseuse, les Deux Danseuses, Loge de Danseuse, etc., appartiennent à ce groupe, et quelques-unes comptent parmi ses meilleures oeuvres. Lui aussi a senti le contraste entre la misère de ce monde d'amuseurs et le faux luxe de leurs oripeaux; il en a été profondément ému. Cet état d'esprit a fait d'Auguste Brouet un illustrateur admirable du livre d'Edmond de Goncourt, Les frères Zemganno, pour lequel il a gravé à l'eau-forte quinze planches hors-texte et plus de cinquante vignettes. Rarement l'association d'un auteur et d'un illustrateur a produit un aussi heureux résultat.
= Enfin, Auguste Brouet a traité quelques sujets de la grande guerre: le Ravitaillement, le Repos des G. V. C. , l'Exode, la Halte des Réfugiés, les Poilus, la Relève, la Manille au cantonnement, le Départ des Emigrants gare du Nord, Boucherie militaire, et une douzaine d'autres planches où sont traitées quelques douloureuses ou pittoresques scènes vues par lui.
= En effet, Auguste Brouet ne nous montre que ce qu'il a vu lui-même; il raconte ce qu'il voit, comme il le voit, avec sympathie, et il découvre autour de lui des spectacles pleins d'intérêts que nul avant lui n 'avait su comprendre ou exprimer; mais il ne donne dans son oeuvre aucune place à l'imagination.
= Pour arriver à fixer si heureusement des scènes essentiellement fugitives, il fallait quc l'exécution suivît immédiatement l'impression reçue. Aussi Auguste Brouet s'est-il créé un méticr très personnel: pour lui à peine quelques croquis sommaires et mnémotechniques sont nécessaires, mais point, ou bien rarement, de ces dessins minutieusement composés, arrangés et recopiés sur la planche : le plus souvent il dessine directement avec la pointe sur le cuivre. Ce procédé donne à ses gravures leur incomparable accent de sincétrité, de mouvement et de vie, cette qualité d'exécution personnelle et unique, cette intensité d'expression incomparable. Lorsqu'une planche ne le satisfait pas complètement, plutôt que de la reprendre et de la retravailler, il la détruit. Ainsi assure-t-il lui-même la parfaite unité et la haute valeur d'art de son oeuvre.
= S'étant toujours tenu à l'écart des manifestations ostentatoires, il a travaillé beaucoup sans nulle préoccupation de publicité, parfois même sans un souci suffisant de ses oeuvres. Telles de ses planches n'existeraient pas, d'autres seraient aujourd'hui perdues, s'il n'avait eu la chance d'avoir près de lui un ami exceptionnel qui sut lui simplifier les difficultés de l'existence, lui permettant de travailler avec plus de calme et de méthode, de vivre avec quiétude. A l'admiration que nous éprouvons pour l'excellent artiste doit se joindre un sentiment de reconnaissance pour l'ami de toujours, le compagnon fidèle des bons comme des mauvais jours, pour Frédéric Grégoire, qui sut rendre plus douce et plus heureuse la carrière longue et laborieuse d'Auguste Brouet, le graveur éminent des gagne-petit.
JEAN GUIFFREY.
1) Outre les Catalogues illustrés des Expositions A. Brouet à Paris, en mars 1922, et à Amsterdam en mai de la même année, avec préfaces de Gustave Geffroy, et les compltes rendus de ces expositions (Chronique des Arts et de la Curiosité, 10 avril 1922, p. 51, par Catroux; La Renaissance de l'Art français mars 1922 p. 3, par Arsène Alexandre, avec dix illustrations et un hors-texte. etc., et dans les journaux hollandais: Handelsblag, Rotterdamscher Currant, Elzeviers Maanschrift, Die Telegrag Abendblag, etc.), nous signalerons l'excellent article de Marcel Valotaire : Auguste Brouet, painter-etcher dans The Studio, 15 juin 1920, p. 134, avec six illustrations.
2) Parmi les très belles planches de cette suite il nous est particulièrement agréable de mentionner Une rue à Montmartre, commandée par la Direction des Beaux·Arts à Auguste Brouet. Cette planche vient d'être livrée à la Chalcographie du Louvre, où des épreuves sont maintenant en vente.

Personne en relation
Frédéric Grégoire (commandité par)